samedi 21 février 2009

Entre Grèce et Mésopotamie

Si vous êtes des fidèles lecteurs de ce blog, vous savez que je me passionne pour les relations entre les Grecs et la Mésopotamie. Cette passion est née d'un hasard : mes origines paternelles irakiennes et mes études de lettres classiques m'ont poussée vers l'une et l'autre de ces civilisations. Toutefois, ne les considérer chacune que comme deux entités isolées aux frontières imperméables serait une grave erreur.

J'avais tout de suite perçu l'importance de la Perse, dans la mesure où la Mésopotamie est sous domination perse quand les Grecs commencent à bien la connaître (époque des Guerres Médiques, puis d'Hérodote, de Xénophon, et enfin conquête d'Alexandre).
J'ai découvert il y a peu l'importance de l'Egypte: dans les batailles des VIIe et VIe s. av. JC opposant l'Egypte à la Mésopotamie, souvent sur le terrain de la Judée, il y avait des mercenaires grecs, c'est sûr, dans l'armée égyptienne et, c'est probable, dans l'armée assyrienne puis babylonienne. L'Egypte passera ensuite sous domination perse au même titre que la Mésopotamie, puis sous domination gréco-macédonienne avec Alexandre le Grand au IVe s. av. JC.

Mais je viens de lire deux livres qui me font prendre conscience qu'à ma grande honte j'avais occulté ce qui semble pourtant capital : rien moins que l'espace compris entre la Grèce et la Mésopotamie! Cela correspond en gros à l'Asie Mineure (emplacement de la Turquie actuelle) et à une entité assez vaste et floue que les Anciens appellent généralement « Syrie » et qui s'étend en gros de la Mer Méditerranée à l'Euphrate. Le problème de ces régions est que, rien que dans la période de l'Antiquité, qui m'intéresse, elles ont abrité une quantité de peuples et de cités d'une grande diversité : il est donc assez difficile de s'y retrouver. Mais ce qui est passionnant, c'est qu'elles sont justement au carrefour de la culture grecque et de la culture orientale et qu'on les y voit s'interpénétrer.

Le premier livre dont je veux vous parler est un ouvrage magnifique (texte clair et instructif, photos sublimes) que m'a offert le Père Noël : L'Orient grec, d'Henri Stierlin (Imprimerie Nationale, 2008). Ce dernier est l'auteur avec sa femme Anne Stierlin à la fois du texte et des photographies, ce que je trouve remarquable. Parmi ces civilisations où la culture grecque et la culture orientale se sont interpénétrées, on voit par exemple la fameuse cité caravanière de Petra (en actuelle Jordanie), dont l'architecture mêle les influences arabes, orientales et grecques. Mais j'ai découvert dans ce livre une multitude d'autres exemples de ce genre, moins célèbres, disséminés entre la Grèce et la Mésopotamie et même au-delà en Occident (Italie) et en Orient (Afghanistan). C'est enfin dans ce livre que j'ai enfin eu claire confirmation, avec photos, plan et explications à l'appui, d'une chose à laquelle je n'avais jusqu'alors lu que de vagues allusions : l'existence d'un théâtre grec à Babylone, ce qui est quand même un élément capital dans l'histoire des liens culturels entre Grèce et Mésopotamie!

Quant au deuxième livre, que j'ai lu par un curieux hasard juste après celui-là, c'est une anthologie de textes de Lucien de Samosate (120-180 ap. JC). Notons par ailleurs qu'un autre curieux hasard a fait qu'une amie ignorant tout de mes lectures actuelles vient justement il y a quelques jours de me donner un livre retrouvé dans un grenier qui se trouve être une édition en grec de l'un des textes de Lucien que je venais de lire en traduction française!
Or, qui est Lucien de Samosate? C'est un auteur de langue grecque, que je connaissais bien, car c'est un pourfendeur des affreux charlatans que sont les « mages chaldéens » ou « babyloniens » (cf. mon article du 22 mai 2008 sur ces derniers: http://cheminsantiques.blogspot.com/2008/05/qui-sont-les-chaldens.html et celui du 28 mai 2008 http://cheminsantiques.blogspot.com/2008/05/des-chaldens-clbres.html pour un « Chaldéen » épinglé par Lucien), ainsi que pour son ouvrage sur La Déesse syrienne, où il parle longuement de Sémiramis, la reine légendaire de Babylone dont l'histoire a été colportée par les Grecs (cf. http://pagesperso-orange.fr/patrick.nadia/(Babylone..)_S%8Emiramis.html ), et enfin, c'est Lucien qui, par dérision, prêtait Babylone comme patrie à Homère (cf. http://pagesperso-orange.fr/patrick.nadia/MesopotamieGrecs.html, dernier paragraphe avant la conclusion).
Pour moi, Lucien était un auteur « syrien », comme il le dit lui-même, et je ne m'étais jamais demandé où était Samosate... Or j'ai été d'abord frappée en voyant la photo choisie en couverture, qui m'a rappelé une de celles du livre d'Henri Stierlin que je venais de quitter. Et en effet, il s'agissait des sculptures monumentales du site de Nemroud Dagh en Commagène (un royaume situé précisément entre l'Asie Mineure et le Nord de la Mésopotamie). Et la lecture de l'introduction de Guy Decaze (Lucien, Histoires vraies et autres histoires, collection Livre de Poche) m'a confirmé que Samosate est en Commagène et que Lucien est originaire de ce pays.
Où est Samosate aujourd'hui? En Syrie actuelle, disent la plupart des biographies et sites internet sur Lucien. Ben voyons! Une recherche à peine un peu plus fouillée nous apprend que Samosate est aujourd'hui « Samsat ». Or cette ville est en Turquie actuelle, non loin des frontières syriennes et irakiennes, dans la région du Kurdistan. En tapant « Commagène » sur le site de « Google Map », vous aurez la situation claire des deux villes antiques les plus importantes de cet ancien royaume, Samosate (« Samosata ») et Nemroud Dagh (« Mont Nemrut »).
Toutefois, Guy Decaze, dans son introduction et ses notes, m'a fait comprendre que Lucien lui-même n'est pas tout à fait étranger à ce flou concernant sa patrie : malgré son ouvrage sur la déesse syrienne et une sorte d'autobiographie (Le Songe), il reste assez discret sur ses origines. En revanche, il est pétri d'hellénisme, mais d'hellénisme classique : son style est celui des orateurs attiques (de la région d'Athènes) qui ont vécu sept siècles avant lui et quand il évoque des sculpteurs, ce sont Phidias et Praxitèle (là encore des Athéniens des Ve et IVe s. av. JC), comme s'il ignorait les monumentales sculptures de Nemroud Dagh édifiées sous le règne d'Antiochos Ier de Commagène en 62 av. JC, à moins de cent kilomètres de sa ville natale!

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jeudi 5 février 2009

Ah? Vous êtes professeur de latin?




Aujourd'hui, je ne vous offrirai pas un article instructif ou littéraire, mais un billet d'humeur. Je souhaite en effet exprimer ma lassitude (pour ne pas employer un mot plus grossier!) envers des pratiques dont souffrent la plupart des professeurs et notamment ceux de langues anciennes, ... et en particulier moi-même!

Où que je mette les pieds en-dehors de mon milieu professionnel, si le hasard ou la nécessité conduit un interlocuteur à me demander mon métier et à me faire préciser (vous enseignez, mais quoi? et où?), j'ai aussitôt droit à la litanie suivante ou à une de ses variantes:
- Vous en pensez quoi, vous, de toutes ces réformes?
- Vous avez vu le film Entre les murs? Ça se passe vraiment comme ça?
- Vous avez beaucoup de délinquants dans votre collège ZEP du 93? Vous n'avez pas peur d'aller travailler?
- Vous ne trouvez pas que l'orthographe a régressé? Mon fils m'a écrit une carte postale de vacances, il y a une faute d'orthographe par mot ; alors que mon père, qui est arrivé en France à 7 ans sans parler un mot de français, ne fait pas une faute! Mais c'était l'école de la IIIe République (variante: de la IVe )!
- Vous êtes pour la méthode globale ou pour la méthode syllabique?
Et surtout:
- Ça s'enseigne encore, le latin?
- Et vous avez beaucoup d'élèves qui font du latin, dans votre collège ZEP?
- Finalement, ça sert à quoi, le latin?
- Ah! Justement, mon fils fait du latin, mais il n'aime pas ça (var.: il a commencé le latin, mais il a abandonné cette année ; var.: il n'a pas voulu faire de latin).
- Ah! Le latin! J'en ai fait quand j'étais au collège! Je détestais ça (var. plus rare: j'adorais ça)! Ma prof était une vieille bique (var.: une jeune inexpérimentée)! On ne faisait que traduire la Guerre des Gaules de César (var. : les Catilinaires de Cicéron)...

STOP! Quand je suis hors de mon milieu professionnel, c'est pour penser à autre chose : à m'amuser si je participe à une fête, à mes vacances si je prends un taxi, à un bon repas si je fais mes courses, à mon enfant si je la conduis à l'école, à ma santé si je suis chez le médecin, etc.

Je suis prête à bâtir des argumentations solides sur la nécessité d'apprendre les langues anciennes quand je fais du prosélytisme envers les élèves de 6e de mon collège et leurs parents, ou bien face à ma hiérarchie, ou encore dans un cadre revendicatif contre des réformes dangereuses pour cet enseignement, ou enfin sur mon blog personnel (l'article « A quoi sert-il d'apprendre » du 29 octobre dernier (http://cheminsantiques.blogspot.com/2008/10/quoi-sert-il-dapprendre.html), s'il concerne tous les apprentissages, s'applique particulièrement bien à celui des langues anciennes). Mais continuer à mobiliser mon énergie et mon esprit pour développer de semblables arguments dans une fête, un taxi ou un cabinet médical, alors que mon interlocuteur a lancé ces questions comme un sujet de conversation badin, à l'instar du temps qu'il fait, mais en réalité, s'en fiche complètement, non!

Ce n'est pas par hasard que j'ai cité cette catégorie en dernier, car le personnel médical est le pire adepte de ces pratiques! Ses membres doivent penser qu'il faut distraire le patient par un sujet de conversation extérieur à l'acte médical. Je vous assure pourtant que moi, quand je suis, un peu stressée, livrée aux mains d'une blouse blanche (si l'on peut dire), une seringue dans le bras ou une roulette dans la bouche, j'ai envie que l'on me dise: « Attention, je vais piquer. », « Je suis en train de mettre un amalgame pour reboucher le trou de votre dent. », « Je prends un petit aspirateur pour retirer le bouchon de votre oreille. », et pas « A quoi ça sert, d'apprendre le latin? »

Le pire a sans doute été atteint il y a quelques jours, et c'est ce qui m'a fait sortir de mes gonds et décidé à écrire cet article. Cela s'est passé à la porte d'un bloc opératoire, oui, je ne mens pas, à la porte d'un bloc opératoire, situation où, vous me l'accorderez, même pour une opération bénigne et programmée comme c'était mon cas, on se sent un peu tendu et préoccupé par tout autre chose que par des considérations professionnelles! Eh bien, jusque là, une infirmière me dit: « Ah? Vous êtes prof de latin? C'est quoi les avantages et les inconvénients? Parce que mes enfants, ils ont eu la feuille, ils ont dit qu'ils voulaient pas en faire, mais je sais pas s'ils ont eu raison... » J'ai répondu avec un sourire crispé que ce n'était pas vraiment le moment, mais j'aurais dû lui répondre: « Abi pedicatum! Et si vous ne comprenez pas, fallait faire du latin! »

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