mardi 14 juillet 2015

Salomon terrasse la femme ou le dragon?


Je suis allée récemment voir l'exposition « Magie, anges et démons » au Musée d'Art et d'Histoire du Judaïsme.
Ce fut un régal pour moi, car j'y ai retrouvé de nombreux thèmes qui constituent mes centres d'intérêt actuels : l'association de la femme et du démon, avec la fameuse Lilith, reine des démons ; sainte Marguerite avec les nombreux talismans protecteurs pour les femmes enceintes, parturientes et nouveaux-nés, exactement semblables à ceux existant dans la chrétienté et comportant la Vie de sainte Marguerite ; sainte Marguerite encore avec l'iconographie de Salomon terrassant une démone tout à fait semblable à celle de saint Georges terrassant le dragon, mais je vais développer ce point ; la région de Cologne avec de nombreuses pratiques magiques chez les Juifs de la région rhénane...

Ce qui m'a le plus intriguée, donc, ce sont ces petits pendentifs amulettes (j'ai oublié la provenance de ceux qui étaient exposés, ainsi que la date, mais ils remontaient à l'Antiquité tardive) représentant Salomon terrassant une démone entravée, interprétée comme Lilith, bien que ce ne soit pas clairement explicité. Les pendentifs en métal étaient tout petits, à tel point que les concepteurs de l'exposition ont pensé à disposer une loupe mobile au-dessus de la vitrine. On distingue toutefois bien ceci : un homme à cheval de profil, une auréole derrière la tête, une longue lance à la main, de laquelle il transperce un ennemi aux pieds de son cheval. Aussi incroyable que cela puisse paraître, c'est exactement l'iconographie de saint Georges terrassant le dragon, telle qu'on la trouve tant sur des icônes de l'orient chrétien que sur des tableaux occidentaux, durant tout le Moyen Age. Le texte écrit sur le cartel de la vitrine faisait d'ailleurs clairement le lien : « Cette vision engendrera de nombreuses images de saints ou d'anges terrassant un dragon », sans que je puisse savoir s'il s'agit d'une hypothèse ou si cette filiation est certaine. Quoi qu'il en soit, elle est vraisemblable. Et elle me replonge en plein dans mon sujet. En effet, j'ai vu cette expo trois jours seulement après vous avoir fait partager mon dernier article « Le dragon, c'est la princesse », et nous y revoilà ! On a dans les deux cas un héros auréolé et chevauchant qui terrasse de sa lance un ennemi à terre, mais dans le cas de Salomon, c'est une femme – plus précisément la reine des démons –, et dans le cas de saint Georges, c'est un dragon. Le dragon s'est substitué à la femme maléfique : c'est donc que l'assimilation entre les deux était facile, voire évidente. Et on la retrouve en effet à de nombreuses reprises, les plus célèbres étant la complicité d'Eve et du serpent (le dragon est considéré comme une espèce de serpent) dans la Bible, mais aussi dans les nombreux écrits des Pères de l’Église qui commentent ce passage, ou encore la mystérieuse Mélusine, femme serpent, sans oublier mes chères Vouivres, femmes dragons.
Cependant, je n'en ai pas fini avec Salomon, qui a encore beaucoup à faire avec les démons et les dragons, et cela nous mènera jusqu'à ma chère Babylone... Mais cela fera l'objet du prochain article ! Patientez d'ici là...

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6 commentaires:

  1. Dans certaines versions il s'agit de Saint Sinsinnios. Cela ressemble à une christianisation de l'histoire de Bélérophon ou même Horus.

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  2. Merci. J'ai en effet fait allusion à d'autres nombreux représentants du motif du cavalier terrassant un dragon dans un article ultérieur : http://cheminsantiques.blogspot.fr/2015/09/un-cavalier-une-lance-une-force.html
    J'y cite en effet Horus et saint Georges. J'aurais pu citer Bellérophon, même s'il n'est pas si fréquent en tant que motif iconographique. Quant à saint Sinsinnios, je ne le connaissais pas, et je vais m'informer sur lui.

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    1. Son nom est parfois orthographié "Sisinnios" je pense que vous trouverez plus d'info comme ça. Il terrasse la démone Abyzou ou Gello. Je ne sais plus.

      L'histoire de St. Georges ressemble beaucoup à celle de Bellerophon, c'est quand même troublant.

      En pratique, aussi, dans le "folk catholicism" le psaume 74 est associé à Ste. Marguerite mais aussi St Georges. Certainement à cause des versets 13 et 14.

      A noté aussi, des similitudes entre ses représentations dans le monde orthodoxe en tant que Sainte Marina et Bagalamukhi, déesse indienne.

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  3. Merci. Je comprends que Sisinnios est un saint de la chrétienté orientale, que je connais moins bien. Sauf sainte Marina, à qui vous faites allusion, et à qui je me suis intéressée, puisque c'est l'équivalent oriental de sainte Marguerite (si vous suivez un peu mon blog ou si vous allez au libellé "sainte Marguerite", vous verrez que je me suis concentrée ces trois dernières années sur l'histoire de cette sainte et notamment l'épisode du dragon). Or, je viens d'aller jeter un coup d’œil sur internet sur cette Bagalamukhi indienne dont vous me parlez, et en effet la correspondance avec le motif iconographique de sainte Marine terrassant le démon est impressionnante! Impressionnante, mais pas "troublante", je pense, pas plus que ne me trouble la ressemblance entre l'histoire de saint Georges et celle de Bellérophon. Quand on commence à s'intéresser aux cultures anciennes, on est troublé par ces coïncidences, mais ensuite on l'est de moins en moins. Les peuples communiquaient beaucoup entre eux et il était normal que des motifs se transmettent, notamment des motifs iconographiques, qui n'ont pas le problème de la barrière de la langue et qui peuvent se déplacer s'ils sont reproduits sur des objets d'art, des tapis, etc., qui circulaient entre l'Orient et l'Occident. Plus j'étudie ces cultures anciennes, plus je me dis que la mythologie grecque, le bouddhisme, le christianisme, etc., sont surtout de l'enrobage, correspondant à la politique de telle société à un moment donné, mais que le cœur, le plus important pour les hommes et les femmes, c'étaient des histoires ou des images. et parmi ces histoires et ces images, celles d'un héros terrassant un monstre maléfique a eu visiblement un succès qui a transcendé presque toutes les cultures...

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  4. Ce genre d'histoires, de mythes avaient un côté "initiatique", Henry Corbin parle souvent du role du monde imaginal et de l'imagination dans les cultes initiatiques. Il pourrait s'agir de réalités métaphysique ou spirituelle transposées sous forme de mythes ou attribuées à un personage.
    Chaque personne manifestant ces "réalités" à sa façon, selon les mystiques iranien, ces principes eux même étant considéré des aspects de Dieu.
    Dans les traditions Afro, chaque personne à la mort devient un "réceptacle" pour manifester ces aspects donc un saint...Ceci est un peu hors sujet mais je pense essentiel pour comprendre le role des mythes, légendes et la symbolisme lié aux saints, mais aussi le "syncrétisme" qui n'en ai pas toujours un...surtout que l'image d'un saint n'est pas une photo mais bien souvent une représentation symbolique des caractères, attributs etc manifesté pendant sa vie par celui-ci.

    Le "format" du mythe change en fonction de la culture , à mon avis.

    L'histoire du Héros terrassant un monstre maléfique est aussi lié au mythe de la création, le dragon symbolisant le chaos. Comme dans l'histoire de Marduk et Tiamat. Mr Toshio Tsumura a écrit un article là dessus dans le "Journal of Biblical Literature" intitulé "The Creation Motif in Psalm 74:12–14? A Reappraisal of the Theory of the Dragon Myth".

    Il existe aussi dans le folklore Antillais un mythe où après une guerre dans le ciel, St Michel et St Georges repoussent Satan et ses compagnons sous terre.

    La lance elle même a un côté phallique ou lié à la fertilité quand on voit pourquoi St Georges ou même St Sisinnios sont priés...argent, travail, protection des femmes enceintes le second, patron des agriculteurs aussi pr St Georges etc

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  5. Je vous rejoins tout à fait. J'en suis arrivée aux mêmes conclusions à force de travailler sur le motif de sainte Marguerite au dragon.

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