mercredi 18 janvier 2017

Christine de Pizan, une féministe au XIVe siècle


Je viens de finir avec le plus grand plaisir la lecture de La Cité des Dames de Christine de Pizan (traduit et édité par Eric Hicks et Thérèse Moreau, éditions Stock, 1986, réédité en 2000). Cette femme a vécu aux XIVe et XVe siècles : elle est trop peu connue du grand public, sans doute plus ou moins consciemment écartée des mémoires par la culture patriarcale traditionnelle. On la cite souvent comme la première féministe, ce qui n'a pas de sens bien sûr, car le mot et la notion de féminisme sont anachroniques à cette époque (mais cela sonne bien, et j'assume d'avoir choisi ce mot comme titre de cet article!). On la cite aussi comme la première auteure féminine à avoir vécu de sa plume, ce qui est exact. Née en Italie, arrivée en France à 4 ans avec son père (astrologue de Charles V), mariée à 15 ans avec un homme de 25 qu'elle a eu la chance d'aimer tendrement, veuve à 25 ans, elle se retrouve seule avec trois jeunes enfants à charge : elle décide de ne pas se remarier et d'écrire des ouvrages pour gagner sa vie et celle de ses enfants (et de sa vieille mère). Sa production est prolifique et sa vie longue. Elle écrit son dernier ouvrage à 65 ans et meurt sans doute peu après.
La Cité des Dames (écrit entre 1404 et 1405) est une œuvre littéraire qui est en soi une métaphore, la métaphore de l’œuvre architecturale et utopique que serait une cité composée uniquement de dames manifestant de grandes qualités. Christine imagine une discussion entre elle-même et trois dames envoyées de Dieu : Raison, Droiture et Justice. Elles l'aident à construire sa cité, d'abord en déblayant et en creusant le terrain pour les fondations (c'est-à-dire en creusant et en enlevant tous les préjugés à l'encontre des femmes), puis en construisant les fondations (énumération de fortes femmes des temps anciens, intelligentes, habiles, courageuses), les bâtiments (autre énumération, en insistant sur les vertus de ces femmes), et les toitures brillantes (les saintes). Ces énumérations ne sont pas des catalogues ennuyeux, mais des récits vifs et bien menés. Et pour ne pas lasser le lecteur, Christine les entrelace de petits dialogues entre elle et les trois envoyées de Dieu, dans lesquels elle glisse ses affirmations en faveur des femmes ou de l'égalité des sexes, comme :

  • « L'excellence ou l'infériorité des gens ne réside pas dans leur corps selon le sexe, mais en la perfection de leurs mœurs et vertus. » (p. 55)
  • « Si c'était la coutume d'envoyer les petites filles à l'école et de leur enseigner méthodiquement les sciences, comme on le fait pour les garçons, elles apprendraient et comprendraient les difficultés de tous les arts et de toutes les sciences aussi bien qu'eux. » (p. 91)
  • « Quand les hommes seront parfaits, alors les femmes les imiteront ! » (p. 210)
On se dit en la lisant que Christine de Pizan est bien « moderne » pour son époque. Mais une autre remarque plus amère s'impose : nombre de préjugés qu'elle évoque, voire d'oppressions, envers le sexe féminin, n'ont guère évolué en six siècles ! Comme le disent Eric Hicks et Thérèse Moreau dans leur introduction (p. 15) : « L'étonnant est donc moins la précocité de son message, l'intelligence de son argumentation, que la constance de la bêtise, la ténacité des adversaires, la vitalité des arguments les plus éculés. » Hélas...


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